La révolution digitale n’était finalement qu’un échauffement pour préparer les organisations à affronter les transformations profondes que nous devons maintenant mettre en oeuvre après des décennies à nourrir un système linéaire toxique.
Il devient donc vital de “tuer” le business as usual pour permettre au business d’intégrer dans son socle les bases des nouveaux enjeux, notamment écologiques.
Les entreprises doivent avoir pour but de pérenniser leurs organisations et leur business en respectant les limites planétaires.
Après plus de 10 ans en charge de la transformation digitale des grands groupes de certains secteurs d’activité chez Google, il est devenu rapidement clair pour moi que les entreprises préféraient minimiser les risques plutôt que de maximiser l’innovation ou une vision long terme.
La révolution digitale a pris beaucoup de temps à se mettre en place dans les entreprises, comme tout changement profond et transverse dans des organisations qui, elles, fonctionnent en silos.
Une des raisons pour laquelle les entreprises ont erré longtemps à cette période, certaines perdant leur marché au profit d’autres acteurs pure player plus agiles, c’est de ne pas avoir su nommer cette révolution : ça n’était pas la révolution digitale mais bien la révolution du business dans un monde digital.
C’était donc un enjeu stratégique et business clef, un risque majeur et une fois bien identifié comme tel, les transformations se sont enfin mises en place : les “CDO” ont connu leur âge d’or après des années de traversée du désert, les organisations ont enfin investi dans des outils, du conseil, et bien former leurs talents pour correctement s’équiper.
Après des années d’errance et d’évangélisation, le digital a pris sa place transverse dans les organisations.
Nous étions plutôt fiers d’avoir accompagné les entreprises dans cette transformation au bout de tant d’années d’évangélisation! Mais ce que nous n’avons pas vu à l’époque et qui me saute aux yeux douloureusement maintenant, c’est que nous avons participé dans certains cas à optimiser et pérenniser des modèles business linéaires souvent néfastes pour la planète et pour les Hommes…
Ce fut mon AHA moment comme on dit, une crise du sens comme il est courant de l’appeler.
J’avais enfin ouvert les yeux sur les vrais enjeux et les vrais impacts que nous devions mettre en œuvre tous ensemble. Et même si nous n’avions pas encore compris quelle était la bonne route à suivre, nous devions commencer à arpenter et défricher le chemin ensemble vers un monde plus durable.
Nous avions déjà perdu trop de temps pour mettre en œuvre les changements nécessaires pour maintenir un monde vivable, pas seulement pour les générations futures, non, au vu de l’accélération des changements climatiques et de la crise environnementale multifactorielle que nous vivons, un monde vivable pour nous également (Rapports du GIEC).
C’est à ce moment là que nous avons créé We Don’t Need Roads pour aider le secteur privé sclérosé dans ses jeux politiques, ses silos, pour beaucoup d’acteurs sans raison d’être au delà de la maximisation du profit et la minimisation des risques, à retrouver son leadership et devenir un vrai contributeurs positifs, aidant à mener les transitions écologiques nécessaires.
Nous savions que nous n’allions pas changer le monde tout seul, que les crises étaient toutes liées, nous avons donc décidé de créer une “meute” de centaines d’experts de toutes les transitions, de partenaires, de réseaux, à un niveau global, au service des actions à mener.
Soyons clair sur les enjeux, nous (espèce humaine) ne sommes pas la solution, nous sommes le problème. La planète se porterait merveilleusement bien sans nous.
Nous avons déjà dépassé 6 des 9 limites planétaires et nous sommes en train de détruire les piliers fondamentaux qui rendent le monde vivable au point où l’ONU parle de menace existentielle directe.
Il va donc nous falloir repenser notre système de valeurs et nos modèles si nous voulons maintenir notre monde tel que nous l’aimons mais pour citer Aurélien Barreau dans sa dernière allocution au MEDEF : “nous n’avons pas commencé à réfléchir sérieusement.”
Alors qui sont les grands contributeurs ?
L’action individuelle évidemment (#lecolibri) est la 1ère approche que nous avons entendue et nous sommes nombreux à avoir commencé à agir sur tout ce que nous pouvions mettre en oeuvre comme écogestes, sobriété, consommation raisonnée, réduction/élimination des protéines animales, réduction/élimination des voyages en avion, isolation des logements, mobilité verte…
Mais l’action individuelle est face à un plafond de verre et selon une étude de Carbone 4, si un Français actionne l’ensemble des leviers à l’échelle individuelle en adoptant un « comportement héroïque », il réduirait son empreinte carbone de 25 %. Or, pour rappel pour respecter les accords de Paris, il faudrait passer d’une consommation de 10t CO2e à 2t donc une réduction de 80%.
Il y a donc eu une campagne de sur-responsabilisation (culpabilisation) des consommateurs au détriment de l’action immédiate des grands contributeurs aux impacts négatifs (50% des gisements de réduction des GES) : les organisations et les États. Les “petits pas” sont essentiels mais non suffisants.
Les entreprises ne sont pas des grands méchants, ce sont des véhicules qui ont été créés pour produire, servir nos besoins réels (ou créés). Aujourd’hui elles sont mises sur le grille par le réglementaire, le consommateur, les différents partenaires pour agir, et assumer leurs responsabilités dans les impacts générés.
Elles sont en plein dans la révolution durable et cette fois-ci, nommons bien l’enjeu pour les entreprises : c’est-à dire la mutation complète du business dans un monde en crise économique, écologique, sociale et sociétale sans précédent.
Il faut donc “tuer le business as usual” pour permettre aux organisations de proposer un nouveau modèle, de trouver une nouvelle place de contributeur positif, de redéfinir leur rôle dans le monde dans le respect des limites planétaires.
On aurait pu penser qu’il serait plus facile pour elles de mener rapidement cette transformation, étant donné celle qu’elles viennent tout juste de finir, mais n’oublions pas que les entreprises établies ne “pivotent” pas. Elles optimisent leurs processus pour faire tourner la machine à plein régime et dans ce cas là je pense que l’image du Titanic n’arrivant pas à changer de cap est la bonne image à prendre…
Il y a différents facteurs qui expliquent la lenteur des entreprises à réagir à autre chose qu’une crise financière.
- Leur but est de maximiser le profit à court terme et non leurs Impacts positifs. Elles n’avaient pas, pour beaucoup, de “raison d’être”, de “purpose”, de responsabilité au niveau sociétal, malgré leur puissance et pour beaucoup une structure capitalistique bloquante. Les entreprises familiales avec leur volonté de pérenniser leur capital pour transmettre ont une vraie carte à jouer pour prendre le leadership de cette contribution écologique positive.
- La non compréhension des vrais enjeux, de leurs conséquences sur la planète, sur notre survie mais aussi sur la survie de l’entreprise. Le terrain de jeu à considérablement changé, les attentes consommateurs, clients, parties prenantes, le cadre réglementaire ne permet plus de faire la même chose. Certains n’ont toujours pas vu que la sustainability n’est plus une option mais bien un nouveau socle pour développer son business dans les limites planétaires. Les Comex doivent prendre en compte ces enjeux stratégiques et engager l’entreprise dans un vrai plan de transformation radicale.
- Les entreprises ont une lacune énorme au niveau de la détection et de la prise en considération des tendances de fond (#thought leadership). Il n’y a souvent pas d’équipe de “défricheurs”, connectés aux nouveaux usages et signaux en temps réel. Les équipes en charge de l’innovation n’ont souvent pas eu les moyens de leurs ambitions et les mains libres pour implémenter des tests pilotes pour lancer des pistes de nouveaux modèles
- Une réluctance naturelle des humains et des rôles centraliens de l’entreprise au changement. La primauté du “business as usual” et la facilité de faire une campagne de communication plutôt que de mettre en oeuvre les changements majeurs (#greenwashing)
- Des équipes en silos, mal formées et pas d’équipe de transformation transverse pour guider ou avec peu de ressources humaines et peu de budget.
- Pas de système de mesure réelle, intégré au même niveau que le financier de la performance extra financière. A quand le budget carbone par business unit sur lequel il faudra rendre des comptes et réduire sous peine de malus sur le budget financier !
- Les talents en poste dans les entreprises, pour beaucoup en crise de sens, les quittent progressivement ce qui endommage fortement leur capacité à se réinventer et créer de nouveaux modèles innovants, pérennes, durables.
Le mouvement actuel, très en vogue, de redéfinition des raisons d’être des entreprises ne doit pas être de nouveau un miroir aux alouettes, il doit définir un cap ambitieux, mesuré et être suivi d’un vrai plan stratégique de transformation de l’organisation en transverse, de piliers d’action puissants et écosystémiques pour créer un business “Future-Proof” (qui résistera dans le temps)
Le leadership doit être un leadership représentant de la diversité, déterminé, courageux, à l’écoute, prêt à l’action pour transformer les organisations, pour réengager les talents pour reprendre un vrai leadership positif (je vous conseille de lire Net Positive de Paul Polman à ce sujet)
Je suis contente de voir qu’il y a quand même de plus en plus de grandes organisations qui s’engagent vraiment et qui prennent les décisions nécessaires même si parfois difficiles ou risquées. Mais, en ce qui concerne les enjeux écologiques, le risque de faire est minuscule par rapport à celui de ne pas faire….Nous sommes fiers de pouvoir les accompagner dans leurs transition. Nous sommes également remplis d’espoir de voir ces nouveaux entrepreneurs créer les solutions positives qui nous manquent dans tous les secteurs en ce moment et que nous aidons à passer à l’échelle.
La question que nous ne cessons de nous poser est : arriverons-nous à créer une économie durable ? Arriverons nous à combiner croissance pérenne dans les limites planétaires? Est ce une étape à la sobriété heureuse ? Nous n’avons pas encore toutes les réponses mais le temps de la théorie et du bla-bla est terminé, il faut juste avancer même si nous ne connaissons pas la route…
Si vous voulez nous rejoindre, n’hésitez pas à nous contacter hello@wedontneedroads.io
Article rédigé par Maud Thévenot, co-fondatrice de WE DON’T NEED ROADS.